Série floue (2009-2013)

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15 octobre 2010, un pavillon bleu au milieu du jardin, Hôpital Broca, consultation mémoire avec le Dr Seux : Rozen doit remplir un questionnaire. Il n’a pas ses lunettes. Les cases sont cochées à sa place. À la fin, il réclame le stylo et ajoute au bas de la page « Je suis un artiste, rien n’est définitif. F.R. »

Hiver 2012, exposition Soutine, au Musée de l’Orangerie, à Paris : un jour de neige. La Tour Eiffel, au loin, place de la Concorde, cachée sous la brume. « Comme moi et ma peinture, en ce moment. Transparente… »

Août 2013, Centre de gérontologie Les Abondances, à Boulogne-Billancourt. S’adressant à l’un de ses enfants :

— Il faut que je parte.
— Où ça ?
— J’ai rendez-vous.
— Avec qui ?
— Avec le temps.

Félix Rozen s’éteint le 6 octobre 2013.

Pyrocera (1993-2000)

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« Félix Rozen se pose en ethnologue spécialisé dans les civilisations qui n’ont jamais existé »,

écrit Hélène Saint-Riquier dans Ouest-France, en 2004, à l’occasion d’une exposition personnelle de Rozen, au Palais des Congrès et de la Culture du Mans.

« Pour donner un langage possible à l’indéchiffrable, pour inscrire l’écho le plus infime dans l’immense partition du monde, Félix Rozen s’est toujours livré aux expérimentations les plus diverses, la plus emblématique – baptisée par lui gravure ou peinture pyrocera  – présentant une alliance inédite des techniques et des matières : de la gravure sur métal à l’usage de la cire, soumise pour la touche finale à la flamme d’un chalumeau. Du choc espéré de contrastes universels, le froid et le chaud, le dur et le malléable, une œuvre naît entre les mains d’un artiste prêt, pour la faire exister, à aller jusqu’à la brûlure. »

Nicole Ambourg, Conservatrice à la documentation du Musée des Années 30, en marge de l’exposition « Jean Lambert-Rucki et Félix Rozen, L’expressionnisme entre figuration et abstraction », fin 2004-début 2005.

Pour Félix Rozen

Le soleil
ne sait
pas
que la nuit
va
répondre
mais les peintres
ont des réponses
de soleils

Pierre Béarn

Lettres à Paul Klee (2003-2006)

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« Cette peinture s’écoute. Elle se fait l’écho de toute une expérience de vie, non pour oublier la perte de parents mélomanes ou celle d’un frère aîné, tué sur le front biélorusse et toutes les vicissitudes d’une jeunesse mouvementée entre Russie et Pologne dans le climat de troubles politiques et religieux, mais pour construire, dès l’arrivée à Paris en 1966 un avenir basé sur les dons et le travail. Comme le fait remarquer Marcelin Pleynet, l’œuvre, chez Rozen, n’est plus frontale, ni même tridimensionnelle : elle se situe dans son rapport à la musique, dans un mouvement ou plutôt une animation interne qui l’institue dans un “devenir encadré” ».

Jean-François Jaeger, catalogue de l’exposition « Lettres à Paul Klee (25 peintures sur papier japon) », à la Galerie Jeanne Bucher, en 2006.

Ceci n’est pas une croix (1991)

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À l’occasion d’une exposition personnelle à l’abbaye de Trizay, en 2006, Gérard Sourd écrit :

« J’imagine que beaucoup d’artistes s’estimeraient comblés de se voir proposer une exposition dans une abbaye bénédictine du XI-XIIe siècle (…). Les peintures et sculptures [de Rozen] réunies à Trizay n’ont rien à prouver, elles ne fournissent aucune clé, ne sont d’aucun secours, du moins explicitement. Elles n’entrent donc pas en concurrence avec l’esprit du lieu, ne la contredisent pas, ne cherchent pas non plus à s’en faire un allié. Ces peintures, ces gravures sont le témoignage sincère, loin de toute anecdote, d’un parcours humain inscrit dans une histoire immémoriale. Elles transmettent une offre de fraternité, une proposition d’espérance. Il faut, pour en pénétrer le sens, les aborder avec un regard d’enfant, de la même façon qu’il faut un regard d’enfant pour rejoindre l’envol désincarné de l’architecture. »

Tokyo Series (1985-1990)

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Le 30 décembre 1982, Yusaku Masuda, directeur de l’Atelier MMG à Tokyo, associé de l’imprimeur-éditeur Mourlot-Paris, écrit, en français :

Cher Monsieur Rozen,

Mes nombreuses occupations quotidiennes ne m’ont pas permis de vous écrire aussi vite que je l’aurais voulu.
Votre exposition à Copenhague a-t-elle été un vrai succès ? Quel a été le résultat ?
Vous rappelez-vous avoir parlé avec moi concernant l’échange de l’atelier entre nous ? Je pensais toujours à votre proposition depuis mon retour au Japon.
J’ai assisté avant-hier à une réunion chez mon amie et elle m’a présenté le peintre qui s’appelle Monsieur Masataka TORÏ âgé de soixante-sept ans, et qui habite dans la région de Tokyo. Il porte bien son âge, mais sympathique.
Je lui ai parlé de vous, et il a accepté en principe votre proposition. Il m’a dit qu’il peut échanger son atelier avec vous (…) à titre gratuit, mais vous devez payer les frais du gaz, de l’électricité, d[u] chauffage et des eaux. Je pense qu’elle n’est pas mal cette condition.
Si vous acceptez ce[te] contreproposition, je vous prie de m’enseigner votre condition précise et de m’envoyer au plus vite le plan de votre atelier avec la cuisine et la salle de bain.
(…). En attendant votre réponse, je vous prie de croire, cher Monsieur, à mes fidèles sentiments.

Y. Masuda

Félix Rozen arrive à Tokyo le dernier jour de l’année 1984. Il y restera quelques mois. Ce séjour l’inspirera longtemps. Il produira près de quatre-vingts œuvres sur papier japon grand format.

New York Series (1980-1984)

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Lettre du peintre Pierre Soulages adressée à la Direction générale des Relations Culturelles et Scientifiques du Ministère des Affaires Etrangères français le 5 mars 1980 :

Monsieur le Directeur,

Félix Rozen m’apprend qu’il présente sa candidature à une bourse de travail aux Etats-Unis.
Je le connais et l’estime depuis plusieurs années et je suis sûr qu’un séjour dans ce pays au contact des musées et de la vie artistique lui serait très profitable et favoriserait le développement de son travail.
Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments distingués.

[signature manuscrite de Pierre Soulages]

Lettre du galeriste new-yorkais André Emmerich à Serge François du Ministère des Affaires Etrangères français le 2 avril 1980 (traduite de l’anglais) :

Cher M. François,

Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous écrire afin d’appuyer la candidature de Félix Rozen en vue de l’obtention d’une bourse qui lui permettrait de vivre dans notre ville pour un an.
Je suis immensément impressionné autant par le travail de Félix Rozen que par ses qualités humaines. Je suis particulièrement frappé par ce qui me semble constituer la dimension véritablement internationale du travail de M. Rozen. Parmi les nombreux artistes dont j’ai examiné le travail, ce régulièrement et au fil des années, je le perçois comme étant un candidat exceptionnellement digne d’une bourse de ce type (…).

Bien à vous,
André Emmerich,
Ancien Président de l’Art Dealers Association of America.

En 1979-1980, Félix Rozen se rend à New York à deux reprises. Il passe de nombreuses semaines dans la chambre 317 du Chelsea Hotel. La configuration des lieux le pousse à peindre sur de longues bandes horizontales qui répondent à la verticalité de la ville.

Maximal Art (1977-1979)

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« La peinture de Félix Rozen bouge. Dans tous les sens (du terme et du tableau), dans le temps et dans l’espace. Quelle évolution rapide depuis les violences plus explicites de 1974 ! Désormais, les signes se multiplient, se scissiparent, foisonnent, grouillent mais s’organisent comme s’ils étaient manœuvrés par d’invisibles champs magnétiques, de préférence en bandes verticales et parallèles. D’où cette espèce de chatoiement musical produit par l’entrecroisement de tant de mini-éléments polychromes. À cet égard, on aimera Maximal Art entre plusieurs autres grands triptyques, ou le Palimpseste géant, qui, de l’aveu de l’auteur peut-être, aucun titre n’étant dû au hasard, s’achemine vers quelque calligraphie orientale. Le but de cette impatience fiévreuse serait-il le Transéquilibre dont le gratifie Christian Dotremont ? Laissons là les gloses et contentons-nous du résultat actuel : de belles œuvres dont on n’a jamais fini d’épuiser la substance. »

Jean-Marie Dunoyer, « De partout et d’ailleurs », Le Monde, mai 1979.

À l’inverse de son ami Marfaing qui lui conseillait : « Simplifie, simplifie… », Rozen a, de son propre aveu, « compliqué, compliqué… ». C’est que pour lui, l’art ne saurait passer par le prisme d’un autre regard que le sien, fût-il empli de bienveillance : il est avant tout, on le devine, un parcours identitaire, une méthode pour débusquer un espace d’existence à sa mesure. Rozen ne fera donc pas de l’art pour être reconnu, mais pour se découvrir, et s’ouvrir.

Gérard Sourd, « Félix Rozen, la mémoire et le signe », Nouvelles de l’estampe, mars 1995.

Porc Chérie (1975-1977)

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« Pendant les années 60, toute une vague d’artistes issus de l’Europe centrale sont venus en France attirés par la légende des Impressionnistes et de l’École de Paris.
L’approche expressionniste de ces frères d’exil semblait presque lourde, aux yeux du Tout-Paris artistique. Pesante, trop chargée d’émotions… Par rapport à l’art conceptuel et par rapport à la peinture gestuelle française du moment, elle-même influencée par les grands formats new-yorkais.
Mais, depuis les grands bouleversements géo-politiques, accélérés par la chute du mur de Berlin, ces artistes-là sont devenus les seuls détenteurs d’un vécu que la conscience collective occidentale s’est appropriée…
Ils ont vécu à l’intersection d’évènements sur lesquels les Occidentaux ne peuvent que réfléchir ou disserter, à l’occasion de talk-shows télévisés.
Leur expressionnisme prend donc toute sa signification, maintenant, à retardement. »

Georgina Oliver, « Quelques bribes d’idées… (before the fall of the Wall) », 1996.

Les Ancêtres (1973-1975)

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« J’ai connu Rozen à l’abbaye de Royaumont, voici une dizaine d’années. À cette époque, il s’exprimait d’une façon très réaliste, en adolescent qui ne craint pas d’ouvrir les portes. [Aujourd’hui, à] 36 ans, il ne sait pas encore où il va, mais il sait qu’il s’est emparé de la vie et qu’il peut en disposer à la façon d’un semeur dans les champs multiples de l’expression (…). »

Pierre Béarn, poète, texte pour l’exposition ROZEN à la Galerie Simone Badinier, 1974.

Rozen « un peintre qui ose mettre de lui-même dans sa peinture, qui ne craint pas de la charger de sentiment, de passion, d’amour, d’angoisse, de douleur, de rêve. »

Gilles Plazy, « Rozen et la liberté », Le Quotidien de Paris, juin 1975.